Nous sommes le 8 mars 2024. L’année dernière à la même date, j’étais entrée à la maternité.
Après une nuit de contractions, seule dans mon salon. Une nuit dont je garde un souvenir doux et chaud, sentant l’eau du bain et les sels marins.
Après cette nuit-là, j’étais entrée à la maternité fissurée. Les eaux ouvertes. Le cœur haletant. Il m’arrivait quelque chose.
Après un premier accouchement par voix haute où je m'étais sentie dépossédée de mon corps.
Mon corps, enveloppe neuve et réconciliée, se donnait à voir. Il savait quoi faire. Tout se déroulait « normalement ». Lentement mais normalement. C’est difficile de décrire cet amour-là. Un amour qui nait dans la douleur. Les muscles souffrent. Les têtes et les corps poussent, et en même temps l’ADRENALINE, l’OCYTOCINE… toutes ces hormones en « ines » font sur moi un travail remarquable. Je suis fragile et puissante. Je n’ai aucune idée de ce qui m’attend mais je n’y pense pas. Je vis pour la contraction d’après, pour la houle, pour le vent qui se lève, pour la vague suivante. Mes amies m’écrivent. A elles, j’ose dire le doute. Entre nous, tout est aussi clair que codé : « J’en suis toujours à 3 ». On me propose d’attendre pour la péri. Mon histoire est tout à la fois singulière et infiniment revécue.
J’ai tellement mal que je ris. Je ne sais plus dans quelle posture me mettre, j’aimerais pouvoir m’accrocher mais il n’y a rien qui me donne une prise dans cette chambre. Le mobilier semble intensément plat et figé tandis que je suis en mouvement. A quoi me sert cette chambre qui me rappelle un hôtel, ce lit. Seule piste pour décoller, la douche. J’aime tellement l’eau. Mon ventre sous l’eau. Mes fesses sous l’eau.
Je le sais, je l’ai vu dans le cours de sophro, j’attends une poisson. C’est le poisson qui est venu me rappeler combien j’aime l’eau. Nous sommes le 8 mars 2023, c’est sûr elle naitra la journée des droits des femmes.
Elle s’appelle Luz y yo estoy dando a Luz. Luz arrive, tenez-vous bien. Je me détends. L’eau chaude, les cris, la péri. Posez-moi la péri !
Je suis fière et prête. Quoi qu’il arrive tout sera différent. Les heures sont des minutes et des jours. Je ne sais plus où je ne suis ni où j’habite. Je déteste ces premières minutes sous péridurale où les effets ne sont plus là et en même temps je ne peux plus bouger. Je me dis que c’est pire qu’avant. Avant j’épousais le mouvement. Maintenant je le subis. La salle n’a pas d’odeur. Je suis une fille docile. Je fais même une blague à l’anesthésiste qui me dit qu’il la ressortira. Moi je l’ai déjà oubliée. J’ai l’impression de m’inscrire dans un grand récit collectif « la nuit où », dans une histoire de pénombre et d’intimité, dans une histoire où mon corps est à moi et déjà plus. On m’intime justement : du courage, Marion. Je veux pousser. Je n’attends que ça. Allez savoir pourquoi je rêve de la ligne droite. On me dit d’attendre et de garder mes forces. Heureusement qu’on m’a autorisée à manger. Vous imaginez le tableau, des heures de sueur sans carburant. Je suis au travail sans vraiment être « en travail » depuis le 7 mars 2023. Le gynécologue entre et m’explique. Ce sera pour la fin de la nuit ou le matin. Elle ne naitra pas le 8. Ce sera pour le 9.
Ce qui est sûr maintenant, c’est que l’ombre de la césarienne s’éloigne. Était-ce une ombre, je ne sais pas ? En tous les cas Luz arrive et je vais vers ma lumière. Je sais que mon vécu n’est pas celui de toutes, je sais qu’il m’est propre. Je sais que ce jour m’appartient et qu’il sera si dur à retranscrire 1 an après. Donner à voir et à sentir, voilà ce que je répète en atelier, ici je te donne à entendre.
Entendre mon corps qui craque et qui s’ouvre, le son étrange de l’anesthésie, de sentir sans sentir, de doser, de deviner, de pousser, de souffler, de trouver mon rythme, de trouver ma danse. Relever la tête et arrêter de respirer. Pousser. Ne pas déchirer. Sentir la tête. Tout oublier. Te trouver si belle. Se connaitre et se découvrir. Pleurer. N’être à mon corps. Te voir naître. Humer ton odeur. Acquiescer quand le personnel complimente. Assurer qu’ils ont raison. Elle est incroyable, merveilleuse. Car à ce moment-là, il n’y a plus rien d’autre qui compte.
He dado a Luz. Luz caresse. Luz petite fille chaude. Luz bébé. Luz déjà grande. Luz avec Inés. Luz qui rit. Le sourire de Luz. Les dents qui se forment. Les éclats qui arrivent. La pluie qui tombe. La vie qui coule. Les pages qui naissent.
Accompagner les naissances. Les naissances de papier, de carton, de crayon, sous ma plume, sous vos plumes. Former les lettres. Se relire et donner du corps. Écouter vos mots, accueillir vos voix. Sentir vos sons. Lire vos trésors. Entendre vos souffrances. Suivre vos partages.
Et retrouver son carnet des années après. Retrouver ses maux.
Se relire et s’émouvoir.
Se relire et revivre.
Se donner de l’espoir.
De l’espoir qui fait vivre.
Une vie qui nait.
Des naissances qui virent.
Virent à l’eau, à l’encre.
A l’eau du 8 mars, au matin du 9.
A nos corps,
A nos cœurs,
A nos droits,
A leurs siestes,
A leurs premiers pas,
Aux nôtres,
A toutes.
8 mars. Journée internationale des droits des femmes, avec les femmes, pour les femmes.
Les écrire, les lire, les entendre, les voir, les sentir.
Accompagner les récits et les récifs.
Je vous attends.
Ce texte a été écrit en un jet comme une page supplémentaire de mes journaux de grossesse, comme une lettre, lettre à ma deuxième fille, lettre aux naissances plurielles, lettre aux femmes... dans le cadre de la journée "Women's care" organisée par Les Citronnées le 8 mars 2024.
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